REDÉCOUVERTE D’UN COSTUME EXCEPTIONNEL ET SA RESTAURATION GRÂCE À UNE OPÉRATION DE MÉCÉNAT
Le 01/12/2022
La collection de costumes de scène de la
Comédie-Française se compose des costumes de jeu et de répétition, le fonds
utilisé par les comédiens, créé pour eux par les ateliers et les costumiers,
mais aussi d‘un fonds dit „musée“ qui conserve des costumes historiques de
toutes époques témoignant de l‘art du costume à travers le temps. Cette
collection textile muséale est en partie déposée au Centre national du costume
de scène à Moulins et a fait l‘objet d‘une grande rétrospective en 2011 : L‘Art
du costume à la Comédie-Française, qui présentait près de 200 pièces depuis
1750 à nos jours. Une autre partie de ce fonds est toujours conservée à la
Comédie-Française et sert aux ateliers comme mémoire et modèle pour la
conception de nouveaux costumes historiques. C‘est dans cette réserve qu‘a été
redécouvert récemment un costume exceptionnel.
Costume d‘Alceste dans Le Misanthrope de Molière, mise en scène de 1837, d‘après un dessin de Paul Lormier :
Le costume a été restauré grâce au mécénat de la Fondation Rémy Cointreau dont la mission est d’accompagner, en France et à l’étranger, des initiatives d’intérêt général pour la valorisation et la transmission de savoir-faire d’excellence.
Maquette du costume par Paul Lormier, 1837, conservée à la
bibliothèque-musée :
Historique de la production de 1837
En 1837, un nouveau spectacle fut donné à
Versailles à l’occasion de l’inauguration du Musée de l‘Histoire de France et à
sa collection dédiée à „toutes les gloires de la France“, selon la volonté du
nouveau roi Louis-Philippe. Installé dans
les ailes du château de Versailles, alors dans un état proche de l'abandon, il
regroupe un vaste ensemble de portraits et scènes historiques. Le roi souhaite
pour l’inauguration un chef-d’oeuvre de la littérature dramatique et son choix
se porte sur Le Misanthrope. La Troupe de la Comédie-Française va alors
refaire une mise en scène, avec de magnifiques costumes du XVIIe siècle
dessinés par Paul Lormier, payés par Louis-Philippe.
Jusque-là, les comédies de Molière se jouaient en „costumes du temps“, c‘est à dire à la mode du moment. L‘influence de la vogue romantique permit d‘envisager de jouer les pièces de Molière dans les costumes du temps de Louis XIV, réforme qui a cours à partir de 1829 mais qui peine à s‘imposer, comme on en peut juger par ce texte de Jouslin de la Salle à propos des débuts du comédien Volnys en septembre 1835 dans le rôle d‘Alceste :
„J‘assistais à cette représentation du Misanthrope où jouait l‘élite de la Comédie, et, pour la première fois, je fus frappé de ce mélange grotesque, de cette bigarrure d‘habits les plus ridicules. En effet, Alceste, Oronte, Acaste, Philinte, Clitandre portaient des habits du temps de Louis XV et de Louis XVI, et Eliante, Célimène portaient naïvement sur la scène des robes châles, ajustements d‘après le Journal des modes publié dans la semaine. Ces costumes d‘une autre époque exigeaient des changements dans le texte de l‘auteur“.
Dès lors, il faut trouver une nouvelle inspiration et surtout, un nouveau financement pour la mise en scène désirée par le roi en 1837.
On choisit le costumier Paul Lormier qui oeuvre à l‘Opéra, pour la reconstitution historique. Surnommé „le bénédictin du costume“, en raison de sa passion de la recherche historique et de sa minutie légendaire, il cumulera à partir de 1855, les fonctions de dessinateur-costumier et de chef de l‘Habillement de l‘Opéra. En 1837, il a déjà collaboré plusieurs fois avec la Comédie-Française. Louis-Philippe paie sur sa cassette les costumes nouveaux réalisés par Lormier pour la représentation à Versailles : les journaux diffusent qu‘ils ont coûté la coquette somme de 22 000 francs.
Le samedi 10 juin 1837, la fête réunit à Versailles toutes les personnalités littéraires et artistiques du moment : Alexandre Dumas, Victor Hugo, Alfred de Musset, Honoré de Balzac, Eugène Delacroix, Sainte-Beuve, Prosper Mérimée, Théophile Gautier, Arsène Houssaye, pour ne citer que les plus connus. Visites du château restauré, bals et banquets précédèrent le spectacle, donné dans la salle de théâtre „redorée à neuf“.
Mais la réception fut „froide“ selon Guizot :
„La fête dramatique qui termina la journée eut aussi ses contrastes. L‘ancienne salle de spectacle du château, tout récemment restaurée, était resplendissante de couleur et de lumière ; le Roi avait voulu que le chef-d‘oeuvre de Molière, Le Misanthrope, y fut représenté sans aucune altération et sans que rien n‘y manquât ; pas un vers ne fut omis ; l‘ameublement de la scène était bien du XVIIe siècle ; des costumes fidèles et préparés pour ce jour-là avaient été donnés aux acteurs ; tout le matériel de la représentation, dans la salle et sur le théâtre, était excellent, et probablement meilleur qu‘il n‘avait jamais été sous les yeux de Louis XIV et par les soins de Molière. Mais la représentation même fut médiocre et froide, par défaut de vérité encore plus que de talent ; les acteurs n‘avaient aucun sentiment ni des moeurs générales du XVIIe siècle, ni du caractère simplement aristocratique des personnages, de leur esprit toujours franc, de leur langage toujours naturel au milieu des raffinements et des frivolités subtiles de leur vie mondaine. Les manières étaient en désaccord avec les habits et l‘accent avec les paroles. Mlle Mars joua Célimène en coquette de Marivaux, non en contemporaine de Mme de Sablé et de Mme de Montespan. Et l‘infidélité était plus choquante à Versailles et dans le palais de Louis XIV qu‘à Paris et sur le théâtre de la rue de Richelieu.“
Historique des costumes de 1837
Les costumes, en revanche, firent l‘unanimité.
Le journaliste Edouard Thierry écrit :
„Eh bien, c‘est sur les dessins de Molière que ces costumes ont été taillés. Costumes étincelants : pourpoints de velours brodés d‘or, brusquement coupés au creux de l‘estomac, hauts-de-chausse de même étoffe et de même couleur couronnés de rubans pareils, tombant de la hanche ou genou ; un flot de beau linge, blanc comme lait écrémé entre le haut-de-chausse et le pourpoint ; bas de soie blanche dans des souliers de satin blanc, et perdus depuis la jaretierre dans un luxe touffu de dentelles empesées ; les manches du pourpoint courte, celles de la chemine ample, gonflées à bouillons avec trois bracelets de rubans et de manchettes de dentelles ; le rabat de la bonne faiseuse ; des glands d‘or au rabat, et le manteau de velours, chatoyant d‘arabesques d‘or sur les marges, soublé de satin chatoyant“.
Perrier eut le privilège d’étrenner ce nouveau costume d’Alceste aux côtés de Mlle Mars.
Le costume diffère de la maquette par la broderie d‘or. Le costume proposé par le peintre était en effet plus sobre que ceux d‘Oronte et des marquis, conformément au caractère du personnage, mais le choix a finalement été fait d‘harmoniser l‘ensemble. La broderie évoque donc davantage d‘autres maquettes présentes dans les collections.
Maquettes de Paul Lormier pour les costumes d‘Oronte et des marquis :
Cette caractéristique est pointée par le même Edouard Thierry qui remarque :
„Pour ne pas froisser les amours-propres, tous les costumes sont du même éclat, de la même richesse, de la même élégance ; la couleur seule diffère ; ce qui me semble blamable au plus haut point. Alceste ne doit pas être vêtu comme Acaste, Clitandre, comme Philinthe […] il faut que le costume habille non pas l‘acteur mais le rôle, il faut que le costume soit une exposition saisissante et donnée d‘abord aux yeux, une enseigne pour ainsi dire du caractère qui se développera plus tard, à loisir selon le dessein de l‘action. C‘est là une des fâcheuses conséquences du vrai costume.“
Ce premier essai rompant avec l’éclectisme esthétique qui présidait jusque-là aux représentations du Misanthrope, ne fut pas apprécié du public de l’époque et les costumes furent rapidement abandonnés après la reprise à Paris qui avait été annoncée „avec les costumes du temps“. Néanmoins ils restèrent des modèles au théâtre, pour les costumes du XVIIe siècle et furent „refaits“ à plusieurs reprises. L‘administrateur Emile Perrin, en 1878, les reprit pour sa nouvelle mise en scène, et à l‘aube du XXe siècle, certains furent refaits à l‘identique. On suit le modèle de ce costume dans les archives et inventaires jusque dans les années 1960.
Le costume de Perrier lui-même, utilisé par Delaunay en 1878, fut d‘ailleurs employé très tardivement comme en témoignent les inscriptions portées sur son étiquette, servant successivement à Prudhon dans Le Menteur (entre 1866 et 1887), Delaunay Père dans Alceste du Misanthrope (entre 1878 et 1887), Worms (entre 1886 et 1901) et Leitner (1888) dans Alceste, Dessonnes dans Alceste de La Conversion d‘Alceste de Courteline en 1905, Georges Le Roy dans Les Fâcheux en 1921, à nouveau Dessonnes dans Alceste pour Le Misanthrope et La Conversion d‘Alceste en 1930.
La Conversion d‘Alceste, 1905 avec Dessonnes
Une des capes pour le Misanthrope, refaite en 1908 d‘après le dessin de Lormier en 1837 :
Le costume d’Alceste et sa restauration
Le costume d‘Alceste est parfaitement
décrit dans l‘inventaire de 1850 et correspond en tous points à celui conservé
: „Un pourpoint en velours de soie noir, brodé tout autour en lames d‘or ;
manteau idem, doublé de satin vert, avec larges broderies à lames d‘or ; un
cordon avec deux glands or pour le manteau ; un tonnelet en velours idem, avec
une large broderie au bas ; culotte de satin vert sous le tonnelet.“
Aujourd‘hui, seule la culotte manque à
notre costume. La doublure du manteau a été remplacé par un satin de soie
orange, mais le vert d‘origine est toujours visible sur le poirpoint et le
tonnelet.
La restauration du costume a été réalisée par une équipe de restauratrices qui se sont attachées à nettoyer l’ensemble des textiles et broderies, à retirer les restaurations grossières et fragilisantes, réalisées au cours du temps, tout en laissant en place les ravaudages historiques. Ces derniers témoignent du soin extrême apporté par les ateliers au maintien en état de ce prestigieux costume.
La broderie réalisée en fil de métal doré, très cassante et en partie détériorée, a fait l’objet d’un travail de stabilisation et de maintien par des points de restauration appliqués de chaque côté des lamelles.
Un mannequinage sur mesure a été conçu pour pouvoir présenter le costume du péristyle du théâtre, du 15 novembre 2022 au 15 février 2023. Le service des lingères et la régie des costumes ont fourni les éléments de lingerie nécessaires à la restitution : une chemise et un col notamment.
La durée maximale d’exposition d’un objet textile est de trois mois. Il est ensuite mis au repos pour au moins 3 ans, selon les règles internationales édictées par l’ICOM (l’International Council of Museums). L’exposition prolongée de ce type d’œuvre peut l’endommager, les textiles étant très réactifs à la lumière.
La restauration a nécessité 180 heures de travail.
Le costume avant restauration :
Le costume après restauration, son installation au péristyle :